Pour Pierre Poullain et Fabrizio Delage, « de la même manière que nous encourageons à manger local, nous devons tout mettre en œuvre pour stocker local ». Interview des deux fondateurs de Valeur-Tech, entreprise spécialisée dans la formation et le conseil en Agtech, basée en région parisienne.
Les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) et autres géants du web permettent aux entreprises agricoles françaises de stocker leurs données à moindre coût. Comment en sommes-nous arrivés là ?
C’est un réel enjeu pour les entreprises européennes. Depuis quelques temps, elles multiplient les partenariats avec les géants du web étrangers. Pourtant, en Europe nous possédons le savoir-faire nécessaire pour stocker nos données. Mais les offres que les entreprises spécialisées dans l’hébergement proposent ne sont pas assez attrayantes face aux offres commerciales agressives de ces géants du web.
Par ailleurs, ces concurrents installent dans nos régions des écoles du web. Leur objectif est double : former les nouveaux web masters de demain mais également capter les compétences agricoles que nous possédons. Ainsi, elles peuvent proposer des offres alléchantes à nos entreprises d’Agtech.
Que risque-t-on à confier le stockage de nos données aux géants du web ?
C’est avant tout une question de souveraineté européenne. Malgré notre savoir-faire et nos lourds investissements dans l’innovation, nos données sont mises au profit d’autres intérêts (notamment économiques, ndlr). Le chantage qu’exerce Donald Trump sur les produits agricoles, à la suite de la mise en place d’une taxe sur les Gafa, nous interroge. Quel type de pression pourrait exercer un chef d’État lorsque toutes nos données sont hébergées chez lui ? Que doit-on penser lorsque Microsoft annonce un partenariat avec l’Usda, acteur majeur de la fixation des prix des grains ? Quel risque prenons-nous alors à lui confier nos outils de gestion agricole ?
Comment éviter la fuite de nos données ?
Selon nous, la solution réside dans la réalisation d’une stratégie européenne collective. Il semblerait pertinent que les régions puissent se doter d’un bout de la technologie et de l’assembler avec d’autres afin de pouvoir peser dans le paysage numérique. Comme l’Europe l’a fait pour Airbus. À cela s’ajoute une meilleure organisation des investissements. Il est primordial que nos régions arrêtent de financer le développement des Gafam sur nos territoires.
Pour que nos entreprises numériques européennes soit compétitives, les pouvoirs publics doivent les soutenir. En revanche, ces dernières doivent également prouver qu’elles ont les compétences et qu’elles créent ainsi de la valeur sur nos territoires au lieu de la laisser partir à l’étranger. De la même manière que nous encourageons à manger local, nous devons tout mettre en œuvre pour stocker local. Petit point positif, l’arrivée des géants du web chinois comme Alibaba va peut-être rebattre les cartes et permettre aux acteurs européens de trouver leur place.
Propos recueillis par Lucie Debuire
Retrouvez l’article original ici